L’articulation entre factoring et subordination des créances : enjeux et perspectives

Le factoring et la subordination des créances représentent deux mécanismes juridiques sophistiqués qui occupent une place prépondérante dans l’arsenal des techniques de financement et de structuration des opérations financières. Le premier permet aux entreprises de mobiliser rapidement leur poste clients tandis que le second organise hiérarchiquement les droits des créanciers. Leur interaction soulève des questions juridiques complexes, particulièrement lorsqu’une créance cédée à un factor se trouve également soumise à un accord de subordination. Cette confrontation entre deux mécanismes aux finalités distinctes génère des tensions juridiques que la pratique et la jurisprudence s’efforcent de résoudre. Les enjeux sont considérables tant pour les factors que pour les créanciers subordonnés, chacun cherchant à préserver l’efficacité de son dispositif.

Fondements juridiques du factoring et de la subordination

Le factoring, également connu sous le terme d’affacturage en droit français, constitue une technique de mobilisation de créances commerciales par laquelle une entreprise cède ses créances clients à un établissement financier spécialisé, le factor. Ce mécanisme trouve son fondement juridique dans les dispositions relatives à la cession de créances, principalement régies par les articles L.313-23 et suivants du Code monétaire et financier pour la cession Dailly, mais également par le droit commun de la cession de créances des articles 1321 et suivants du Code civil.

La nature juridique du factoring se caractérise par un transfert de propriété des créances commerciales, accompagné généralement de prestations de services annexes (gestion du poste clients, recouvrement, garantie contre l’insolvabilité). Cette opération triangulaire implique trois acteurs principaux : le cédant (l’entreprise qui cède ses créances), le factor (l’établissement financier qui achète les créances) et le débiteur cédé (le client du cédant).

Mécanismes de la cession de créances dans le factoring

En pratique, le transfert de propriété des créances s’opère soit par le biais d’une cession Dailly, soit par une cession de droit commun. La première présente l’avantage d’une formalité allégée (simple bordereau) et d’une opposabilité immédiate aux tiers, tandis que la seconde nécessite une notification au débiteur cédé pour être pleinement opposable.

La subordination des créances, quant à elle, s’inscrit dans une logique différente. Elle vise non pas à transférer la propriété d’une créance mais à aménager conventionnellement l’ordre de paiement entre différents créanciers d’un même débiteur. Ce mécanisme, consacré par la pratique avant d’être reconnu explicitement par le législateur, permet à un créancier dit « subordonné » d’accepter de ne recevoir paiement qu’après désintéressement complet d’autres créanciers dits « seniors« .

  • Fondement contractuel de la subordination
  • Reconnaissance jurisprudentielle progressive
  • Consécration légale par l’ordonnance du 23 mars 2006

Le Code civil, en son article 2285, pose le principe d’égalité des créanciers (par condicio creditorum), mais admet des exceptions, notamment en cas de « causes légitimes de préférence ». La subordination conventionnelle s’analyse précisément comme une renonciation volontaire à cette égalité, créant ainsi une hiérarchie dans les droits de paiement.

Ces deux mécanismes juridiques répondent à des finalités économiques distinctes : le factoring constitue un outil de financement à court terme et d’externalisation de la gestion du poste clients, tandis que la subordination s’inscrit dans une stratégie de structuration du passif, fréquemment utilisée dans les montages de financement complexes ou les opérations de private equity.

Confrontation des régimes juridiques et articulation pratique

La rencontre entre factoring et subordination génère des zones de friction juridique significatives. Le premier point de tension concerne la validité même de la subordination face à une créance cédée. En effet, lorsqu’une entreprise cède ses créances à un factor, elle transfère la pleine propriété de ces actifs. Se pose alors la question de savoir si un accord de subordination peut valablement affecter des créances qui ne font plus partie du patrimoine du débiteur initial.

La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer sur des problématiques similaires, notamment dans un arrêt du 13 septembre 2011, où elle a confirmé que la cession de créance emporte transfert de propriété et que les conventions ultérieures conclues par le cédant concernant cette créance ne peuvent affecter les droits du cessionnaire. Par analogie, on peut considérer qu’un accord de subordination conclu postérieurement à une cession effective au profit d’un factor ne saurait limiter les droits de ce dernier.

Chronologie des opérations et prééminence des droits

La chronologie des opérations s’avère déterminante pour résoudre les conflits potentiels. Trois configurations principales peuvent être identifiées :

  • Subordination antérieure au factoring
  • Factoring antérieur à la subordination
  • Opérations concomitantes ou interdépendantes

Dans la première hypothèse, lorsque la subordination précède la cession au factor, ce dernier acquiert la créance dans l’état où elle se trouve, avec les limitations qui y sont attachées. Le principe selon lequel « nul ne peut transférer plus de droits qu’il n’en a lui-même » (nemo plus juris) trouve ici à s’appliquer. Le factor se trouve donc tenu de respecter l’accord de subordination préexistant.

À l’inverse, si le factoring intervient avant la mise en place d’une subordination, le cédant ne peut plus valablement subordonner des droits qu’il a déjà transférés. La subordination ultérieure serait inopposable au factor, sauf à ce que ce dernier y consente expressément.

La situation se complique davantage lorsque les deux opérations sont concomitantes ou s’inscrivent dans un montage financier global. Dans cette configuration, l’analyse de l’intention des parties et des stipulations contractuelles devient primordiale. Les tribunaux français s’attachent alors à rechercher si le factor avait connaissance de l’accord de subordination et s’il a, explicitement ou implicitement, accepté d’y être soumis.

En pratique, les acteurs du financement structuré anticipent ces difficultés en incluant dans leurs contrats des clauses spécifiques visant à articuler les différents mécanismes. Ces clauses, souvent désignées sous le terme d' »intercreditor agreements« , définissent précisément les rangs respectifs des différents créanciers et les modalités d’exercice de leurs droits.

Impact des procédures collectives sur l’articulation factoring-subordination

L’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du débiteur constitue un révélateur des tensions entre factoring et subordination. Dans ce contexte spécifique, l’efficacité respective de ces mécanismes est mise à l’épreuve face aux règles d’ordre public du droit des entreprises en difficulté.

Le factoring bénéficie d’une protection relativement solide en cas de procédure collective. En effet, la jurisprudence reconnaît que les créances valablement cédées avant le jugement d’ouverture échappent à la procédure collective, le factor n’étant pas considéré comme un créancier du débiteur mais comme propriétaire des créances cédées. Cette solution a été confirmée par plusieurs arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, notamment dans une décision du 7 décembre 2004 qui a précisé que « les créances cédées dans le cadre d’une cession ‘Dailly’ sortent du patrimoine du cédant pour entrer dans celui du cessionnaire ».

Traitement différencié selon les procédures

Le sort des créances subordonnées varie considérablement selon la nature de la procédure collective. En cas de sauvegarde ou de redressement judiciaire, les accords de subordination conservent en principe leur efficacité, sous réserve des règles impératives concernant l’ordre des paiements. La situation est plus complexe en cas de liquidation judiciaire, où l’article L.643-8 du Code de commerce établit un ordre précis de répartition du produit des actifs.

La question se pose alors de savoir si les conventions de subordination peuvent déroger à cet ordre légal. La doctrine majoritaire considère que la subordination conventionnelle reste efficace même en liquidation judiciaire, mais uniquement entre les créanciers parties à l’accord. Cette position a été confortée par un arrêt de la Cour de cassation du 25 octobre 2011, qui a reconnu l’opposabilité d’un accord de subordination dans le cadre d’une procédure collective.

L’articulation entre factoring et subordination en cas de procédure collective devient particulièrement délicate lorsque le factor n’est pas partie à l’accord de subordination. Dans cette hypothèse, et si la cession est intervenue avant la subordination, le factor peut en principe exercer ses droits sans contrainte. En revanche, s’il a acquis des créances déjà soumises à subordination, la question de l’opposabilité de cette dernière fait débat.

  • Opposabilité de la subordination au factor
  • Incidence de la connaissance par le factor de l’accord de subordination
  • Impact du caractère professionnel du factor sur son devoir de vigilance

La réforme du droit des sûretés de 2021 n’a pas spécifiquement traité cette problématique, laissant subsister certaines zones d’ombre. Néanmoins, la pratique tend à sécuriser ces situations par la mise en place de conventions tripartites impliquant le débiteur, les créanciers subordonnés et le factor, afin de définir clairement les droits de chacun en cas d’ouverture d’une procédure collective.

Dimensions internationales et conflits de lois

La dimension internationale des opérations de financement contemporaines ajoute une couche de complexité supplémentaire à l’articulation entre factoring et subordination. Les montages financiers impliquent fréquemment des acteurs relevant de juridictions différentes, soulevant ainsi des questions de conflits de lois et de reconnaissance transfrontalière des mécanismes juridiques.

Le factoring international bénéficie d’un cadre conventionnel avec la Convention d’Ottawa du 28 mai 1988 sur l’affacturage international, ratifiée par la France. Ce texte harmonise certains aspects du factoring transfrontalier, notamment concernant la validité des cessions de créances et leur opposabilité. Toutefois, son champ d’application reste limité et de nombreuses questions demeurent régies par les droits nationaux.

Détermination de la loi applicable

En matière de cession de créances, le Règlement Rome I (n° 593/2008 du 17 juin 2008) constitue le texte de référence au sein de l’Union européenne. Son article 14 prévoit que les relations entre cédant et cessionnaire sont régies par la loi applicable au contrat qui les lie, tandis que la loi de la créance cédée détermine son caractère cessible, les conditions d’opposabilité de la cession au débiteur et le caractère libératoire du paiement.

Pour la subordination, en l’absence de règle spécifique, les principes généraux du droit international privé conduisent à appliquer la loi du contrat choisie par les parties. Toutefois, des questions demeurent quant à l’opposabilité de ces accords aux tiers non signataires, particulièrement dans un contexte transfrontalier.

La complexité s’accroît encore lorsque factoring et subordination relèvent de systèmes juridiques différents. Par exemple, un contrat de factoring soumis au droit français peut entrer en conflit avec un accord de subordination régi par le droit anglais ou américain, où les mécanismes de « subordination agreements » obéissent à des logiques partiellement différentes.

  • Reconnaissance mutuelle des mécanismes juridiques
  • Interprétation des clauses contractuelles selon différentes traditions juridiques
  • Articulation avec les procédures d’insolvabilité transfrontalières

Le Règlement européen sur l’insolvabilité (n° 2015/848 du 20 mai 2015) apporte certaines réponses concernant la coordination des procédures d’insolvabilité au sein de l’Union européenne, mais laisse subsister des zones d’incertitude quant à l’efficacité des mécanismes de subordination face à des créances cédées à un factor.

Face à ces incertitudes, la pratique internationale a développé des solutions contractuelles sophistiquées. Les contrats de financement internationaux intègrent désormais fréquemment des clauses détaillées sur les conflits de lois, des définitions précises des rangs de paiement et des mécanismes de coordination entre créanciers de différentes nationalités. Ces « master agreements » visent à sécuriser l’articulation entre factoring et subordination par une approche contractuelle globale et anticipative.

Perspectives d’évolution et optimisation des pratiques contractuelles

L’évolution constante des techniques de financement et du cadre réglementaire impose une adaptation permanente des pratiques contractuelles relatives à l’articulation entre factoring et subordination. Plusieurs tendances se dessinent, tant au niveau législatif que dans la pratique des affaires.

Sur le plan législatif, la réforme du droit des sûretés opérée par l’ordonnance du 15 septembre 2021 a modernisé certains aspects du droit français sans toutefois aborder spécifiquement l’interface entre factoring et subordination. Cette réforme s’inscrit néanmoins dans un mouvement plus large de sécurisation des opérations de financement, qui pourrait à terme conduire à une clarification du cadre juridique applicable à ces mécanismes.

Vers une standardisation des clauses contractuelles

La pratique contractuelle tend vers une standardisation accrue des clauses régissant l’articulation entre factoring et subordination. Les acteurs du marché, notamment les établissements bancaires et les cabinets d’avocats spécialisés, développent des modèles contractuels intégrant des dispositions spécifiques pour prévenir les conflits potentiels.

Ces clauses types abordent généralement :

  • La hiérarchisation explicite des droits du factor et des créanciers subordonnés
  • Les conditions de notification et d’information réciproque
  • Les modalités de répartition des paiements en cas de concours
  • Les engagements de ne pas faire (negative covenants) limitant certaines actions

L’approche contractuelle se complète par le développement de mécanismes de coordination entre créanciers. Les « intercreditor agreements » se généralisent, y compris dans des opérations de taille moyenne, et intègrent désormais systématiquement des dispositions relatives au factoring. Ces accords prévoient notamment des procédures de consultation préalable entre créanciers avant toute action de recouvrement et des mécanismes de partage d’information.

Une autre évolution significative concerne l’utilisation croissante de structures fiduciaires pour optimiser l’articulation entre factoring et subordination. La fiducie-sûreté, introduite en droit français par la loi du 19 février 2007 et renforcée par les réformes ultérieures, offre un cadre juridique permettant de concilier les intérêts des factors et des créanciers subordonnés à travers un patrimoine d’affectation dédié.

Le développement des technologies financières (fintech) ouvre également de nouvelles perspectives. Les plateformes de supply chain finance et d’affacturage inversé (reverse factoring) intègrent désormais des fonctionnalités permettant de gérer automatiquement les priorités de paiement selon des règles prédéfinies, facilitant ainsi l’articulation pratique entre factoring et subordination.

Le recours à la blockchain et aux smart contracts constitue une piste d’avenir prometteuse pour sécuriser davantage l’articulation entre ces mécanismes. La technologie blockchain permettrait de tracer avec certitude la chronologie des opérations (cessions de créances et accords de subordination), tandis que les smart contracts pourraient automatiser l’exécution des paiements selon la hiérarchie conventionnellement établie.

Face à ces évolutions, les praticiens doivent maintenir une vigilance constante et adapter leurs pratiques. La formation continue des juristes d’entreprise et des responsables financiers sur ces questions techniques devient un facteur déterminant pour optimiser l’utilisation conjointe du factoring et de la subordination dans les stratégies de financement.

Stratégies pratiques pour une cohabitation efficiente

Au-delà des considérations théoriques, les acteurs économiques recherchent des solutions concrètes pour faire cohabiter efficacement factoring et subordination dans leurs montages financiers. Cette cohabitation requiert une approche méthodique, fondée sur une analyse préalable approfondie et une structuration rigoureuse des opérations.

La première étape consiste à réaliser un audit complet des créances et des engagements existants avant d’envisager toute opération nouvelle. Cet audit permettra d’identifier les créances déjà soumises à factoring ou à subordination, ainsi que les éventuelles restrictions contractuelles limitant leur mobilisation ou leur hiérarchisation future.

Approche préventive et documentation adaptée

L’anticipation des conflits potentiels constitue la clé d’une articulation réussie. Cette approche préventive se matérialise par la mise en place d’une documentation contractuelle adaptée, élaborée en collaboration avec les différentes parties prenantes. Les contrats de factoring modernes intègrent désormais fréquemment des clauses spécifiques relatives aux créances subordonnées, tandis que les accords de subordination mentionnent explicitement le traitement des créances cédées à un factor.

Plusieurs stratégies pratiques peuvent être déployées pour faciliter cette cohabitation :

  • Segmentation du portefeuille de créances avec identification claire des créances éligibles au factoring
  • Mise en place de comptes séquestres (escrow accounts) pour sécuriser la répartition des paiements
  • Utilisation de conventions de délégation imparfaite pour canaliser les flux financiers
  • Recours à des mécanismes de garantie croisée entre créanciers

Le choix de la technique juridique dépendra largement du contexte spécifique de l’opération, notamment du profil de risque du débiteur, de la nature des créances concernées et des objectifs poursuivis par les différents créanciers.

En pratique, les opérations de LBO (Leveraged Buy-Out) illustrent parfaitement la nécessité d’articuler efficacement factoring et subordination. Dans ces montages, la société cible utilise fréquemment le factoring comme outil de financement opérationnel, tandis que sa structure financière repose sur une dette senior et une dette subordonnée (mezzanine ou junior). La documentation financière de ces opérations intègre généralement des dispositions détaillées sur l’articulation entre ces différents mécanismes.

Les contrats de crédit syndiqué contemporains prévoient également des clauses spécifiques concernant le recours au factoring par l’emprunteur. Ces dispositions, souvent regroupées sous l’appellation « permitted receivables financing« , définissent précisément les conditions dans lesquelles l’emprunteur peut céder ses créances sans contrevenir à ses engagements vis-à-vis des prêteurs seniors et subordonnés.

Pour les PME qui n’ont pas accès à des financements structurés sophistiqués, des solutions plus simples peuvent être mises en œuvre. Par exemple, la limitation du factoring à certaines catégories de créances clairement identifiées, combinée à un accord de subordination portant sur d’autres actifs, peut constituer une approche pragmatique pour bénéficier des avantages de ces deux mécanismes sans générer de conflits juridiques.

L’accompagnement par des conseils spécialisés s’avère souvent déterminant pour structurer efficacement ces opérations. Les cabinets d’avocats spécialisés en droit bancaire et financier et les consultants en ingénierie financière développent une expertise spécifique dans l’articulation de ces mécanismes, permettant d’optimiser leur utilisation tout en minimisant les risques juridiques.

La communication transparente entre les différents créanciers constitue également un facteur clé de succès. L’organisation de réunions périodiques entre le factor et les créanciers subordonnés permet d’échanger des informations sur la situation financière du débiteur et d’anticiper d’éventuelles difficultés. Cette approche collaborative, formalisée dans des protocoles d’information, contribue significativement à prévenir les conflits et à faciliter la résolution des situations problématiques.