La clause de cession forcée dans les pactes d’actionnaires : analyse juridique d’une invalidation controversée

La pratique contractuelle des pactes d’actionnaires a connu un développement significatif dans le paysage juridique français, offrant aux associés des mécanismes de contrôle et de gestion des relations entre actionnaires. Parmi ces dispositifs, la clause de cession forcée représente un outil stratégique permettant d’organiser l’exclusion d’un associé dans des circonstances prédéfinies. Néanmoins, la jurisprudence récente a considérablement ébranlé la validité de ces clauses, remettant en question leur efficacité juridique et leur opposabilité. Les tribunaux ont progressivement établi un cadre restrictif autour de ces mécanismes contractuels, suscitant une vive inquiétude chez les praticiens du droit des affaires et les acteurs économiques.

Fondements juridiques et mécanismes de la clause de cession forcée

La clause de cession forcée constitue un dispositif contractuel par lequel les actionnaires d’une société conviennent que, dans certaines circonstances déterminées, l’un d’entre eux pourra être contraint de céder ses titres aux autres signataires du pacte ou à des tiers désignés. Cette stipulation s’inscrit dans une logique de régulation des relations entre associés et vise principalement à résoudre des situations de blocage ou à sanctionner certains comportements préjudiciables à l’intérêt social.

Sur le plan juridique, ces clauses trouvent leur fondement dans le principe de liberté contractuelle, consacré par l’article 1102 du Code civil, qui permet aux parties d’aménager librement leurs relations, sous réserve du respect de l’ordre public. Dans le contexte sociétaire, cette liberté se conjugue avec les principes fondamentaux du droit des sociétés, notamment la libre négociabilité des actions dans les sociétés anonymes et le droit de propriété des associés sur leurs titres.

Les mécanismes d’activation de la clause de cession forcée sont généralement liés à des événements précis :

  • La violation des engagements pris dans le pacte d’actionnaires
  • La survenance d’un changement significatif dans la situation personnelle ou professionnelle d’un associé (décès, incapacité, retraite)
  • L’émergence de situations de blocage dans la gouvernance de la société
  • La cessation des fonctions d’un dirigeant-actionnaire au sein de la société

La mise en œuvre de ces clauses s’accompagne généralement de modalités précises concernant la détermination du prix de cession. Les pactes d’actionnaires prévoient fréquemment l’intervention d’un expert indépendant, conformément à l’article 1843-4 du Code civil, pour garantir l’équité de la transaction et protéger les intérêts de l’actionnaire contraint à la cession.

Du point de vue de la pratique contractuelle, la rédaction de ces clauses requiert une attention particulière. Les juristes doivent veiller à définir avec précision les événements déclencheurs, les modalités d’exercice de la clause, les délais applicables et les méthodes d’évaluation des titres. Cette rigueur rédactionnelle constitue un facteur déterminant dans l’appréciation de la validité de la clause par les tribunaux.

Il convient de distinguer la clause de cession forcée d’autres mécanismes contractuels proches, tels que les clauses d’exclusion statutaires, les promesses unilatérales de vente sous condition ou les clauses de préemption. Bien que poursuivant des objectifs similaires, ces dispositifs obéissent à des régimes juridiques distincts et soulèvent des problématiques différentes en termes de validité et d’opposabilité.

Les enjeux économiques de ces clauses sont considérables, particulièrement dans les sociétés fermées ou les entreprises familiales, où elles constituent un instrument privilégié de prévention des conflits et de préservation de la stabilité de l’actionnariat. Elles participent ainsi à la sécurisation des investissements et à la pérennité des structures sociétaires.

Évolution jurisprudentielle et remise en cause de la validité des clauses de cession forcée

La jurisprudence relative aux clauses de cession forcée a connu une évolution significative au cours des dernières décennies, marquée par un durcissement progressif de la position des tribunaux. Cette trajectoire jurisprudentielle a culminé avec plusieurs décisions retentissantes qui ont considérablement affaibli la validité de ces stipulations contractuelles.

Initialement, les juridictions françaises adoptaient une approche relativement libérale à l’égard des clauses de cession forcée. L’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 décembre 1994 avait ainsi reconnu la validité de principe d’une clause d’exclusion figurant dans les statuts d’une société, posant les fondements d’une jurisprudence favorable aux mécanismes d’éviction conventionnelle des associés.

Toutefois, un revirement majeur s’est produit avec l’arrêt « Château d’Yquem » rendu par la Cour de cassation le 8 février 2011. Dans cette affaire emblématique, la Haute juridiction a invalidé une clause de cession forcée en considérant qu’elle portait atteinte au principe d’inaliénabilité des droits propres de l’associé. Cette décision a instauré une présomption de méfiance à l’égard de ces dispositifs contractuels, en posant des conditions strictes à leur validité.

La tendance restrictive s’est accentuée avec l’arrêt du 21 octobre 2014, dans lequel la Chambre commerciale a invalidé une clause de rachat forcé en se fondant sur le principe de prohibition des clauses léonines, consacré par l’article 1844-1 du Code civil. La Cour a estimé que cette stipulation contractuelle avait pour effet d’exonérer un associé des pertes sociales, en contradiction avec les principes fondamentaux du droit des sociétés.

Les critères d’appréciation de la validité par les tribunaux

Au fil des décisions jurisprudentielles, plusieurs critères d’appréciation de la validité des clauses de cession forcée se sont dégagés :

  • Le caractère objectif et légitime des motifs d’exclusion
  • L’existence d’une juste indemnisation de l’associé exclu
  • Le respect des droits fondamentaux de l’associé
  • La proportionnalité entre la mesure d’exclusion et le manquement constaté

La décision marquante rendue par la Cour d’appel de Paris le 7 juin 2016 a précisé ces critères en invalidant une clause de cession forcée au motif qu’elle permettait l’exclusion d’un actionnaire sans motif légitime et sans procédure contradictoire. Cette jurisprudence a renforcé l’exigence de motivation objective et de respect des droits de la défense dans la mise en œuvre de ces clauses.

L’arrêt de la Cour de cassation du 11 mai 2017 a constitué un nouveau coup porté aux clauses de cession forcée en confirmant leur subordination aux principes fondamentaux du droit des sociétés. La Haute juridiction a notamment rappelé que ces stipulations contractuelles ne pouvaient avoir pour effet de priver un associé de son droit de participer aux décisions collectives ou de son droit aux bénéfices.

La position restrictive des tribunaux s’est encore manifestée dans un arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 14 décembre 2018, qui a invalidé une clause de cession forcée prévue dans un pacte d’actionnaires au motif qu’elle constituait une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l’associé visé par la mesure d’exclusion.

Cette évolution jurisprudentielle témoigne d’une tension croissante entre deux impératifs juridiques : d’une part, la liberté contractuelle qui plaide en faveur de la validité des clauses de cession forcée ; d’autre part, les principes fondamentaux du droit des sociétés et la protection du droit de propriété des associés, qui tendent à limiter l’efficacité de ces mécanismes contractuels.

Analyse des motifs d’invalidation : entre protection de l’ordre public sociétaire et liberté contractuelle

L’invalidation des clauses de cession forcée par les tribunaux repose sur plusieurs fondements juridiques qui révèlent une tension permanente entre la protection de l’ordre public sociétaire et le principe de liberté contractuelle. Cette dialectique complexe mérite une analyse détaillée des arguments juridiques mobilisés par la jurisprudence.

Le premier motif d’invalidation fréquemment invoqué concerne l’atteinte au droit fondamental de propriété. Les juges considèrent que la clause de cession forcée constitue une restriction significative au droit de l’actionnaire de conserver ses titres, élément constitutif de son droit de propriété protégé par l’article 544 du Code civil et par l’article 1er du Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme. Cette approche a été consacrée dans l’arrêt de la Cour de cassation du 9 avril 2015, qui a rappelé que toute limitation contractuelle du droit de propriété devait être interprétée strictement et ne pouvait aboutir à une dépossession arbitraire.

Le deuxième fondement d’invalidation repose sur le principe d’intangibilité des droits propres de l’associé. La jurisprudence, notamment dans l’arrêt « Château d’Yquem », a considéré que certains droits attachés à la qualité d’associé étaient intangibles et ne pouvaient faire l’objet d’une renonciation anticipée. Parmi ces droits figurent le droit de rester associé et le droit de ne pas être exclu sans motif légitime et procédure équitable. Cette position jurisprudentielle s’inscrit dans une conception institutionnelle de la société qui transcende la dimension purement contractuelle des relations entre associés.

Un troisième argument juridique concerne la prohibition des clauses léonines, édictée par l’article 1844-1 du Code civil. Les tribunaux ont parfois considéré que les clauses de cession forcée pouvaient aboutir à exonérer certains associés de leur contribution aux pertes, en leur permettant de se retirer de la société dans des conditions financières avantageuses en cas de difficultés économiques. Cette interprétation extensive de la prohibition des clauses léonines a été notamment retenue dans l’arrêt de la Chambre commerciale du 16 novembre 2016.

La confrontation avec le principe de liberté contractuelle

Face à ces motifs d’invalidation, les défenseurs des clauses de cession forcée invoquent le principe de liberté contractuelle, renforcé par la réforme du droit des contrats de 2016. Ils soutiennent que ces clauses représentent une manifestation légitime de l’autonomie de la volonté des parties et un instrument efficace d’organisation des relations entre actionnaires.

Cette tension entre ordre public sociétaire et liberté contractuelle se cristallise autour de la question de la hiérarchie des normes dans le droit des sociétés. La doctrine est divisée sur ce point : certains auteurs comme le Professeur Michel Germain défendent la primauté des principes fondamentaux du droit des sociétés sur les arrangements contractuels, tandis que d’autres, à l’instar du Professeur Paul Le Cannu, plaident pour une approche plus libérale reconnaissant une large autonomie aux pactes d’actionnaires.

La question de la proportionnalité occupe une place centrale dans l’appréciation de la validité des clauses de cession forcée. Les tribunaux examinent si la sanction d’exclusion est proportionnée au manquement reproché à l’associé. Dans un arrêt du 5 mai 2018, la Cour d’appel de Lyon a ainsi invalidé une clause qui prévoyait l’exclusion automatique d’un actionnaire pour tout manquement au pacte, sans distinguer selon la gravité de l’infraction commise.

Un autre aspect déterminant concerne les modalités d’indemnisation de l’associé exclu. Les clauses prévoyant une valorisation manifestement sous-évaluée des titres font l’objet d’une censure quasi systématique des tribunaux. Dans un arrêt du 24 janvier 2017, la Cour d’appel de Paris a invalidé une clause de cession forcée qui fixait une décote de 30% par rapport à la valeur réelle des actions, considérant qu’elle constituait une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l’associé.

Cette analyse révèle que l’invalidation des clauses de cession forcée s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel plus large visant à encadrer strictement les mécanismes contractuels susceptibles de porter atteinte aux principes fondamentaux du droit des sociétés. Cette tendance reflète une conception de la société comme institution dépassant le simple cadre contractuel, conception qui limite nécessairement la portée de l’autonomie de la volonté des actionnaires.

Conséquences pratiques pour les rédacteurs de pactes et stratégies d’adaptation

L’évolution restrictive de la jurisprudence concernant les clauses de cession forcée impose aux praticiens du droit des affaires une révision profonde de leurs méthodes de rédaction des pactes d’actionnaires. Cette nouvelle donne juridique génère des implications concrètes pour les avocats, juristes d’entreprise et conseils qui doivent désormais repenser leurs stratégies contractuelles.

La première conséquence pratique concerne l’exigence accrue de précision dans la définition des motifs d’exclusion. Face à la censure judiciaire des clauses trop générales ou imprécises, les rédacteurs doivent désormais énumérer de manière exhaustive et détaillée les cas d’activation du mécanisme de cession forcée. Cette exigence implique un travail minutieux d’anticipation des situations potentiellement conflictuelles et une rédaction rigoureuse des événements déclencheurs.

Les cabinets d’avocats spécialisés recommandent ainsi d’établir une typologie précise des manquements pouvant justifier l’exclusion :

  • Violation caractérisée des obligations prévues par le pacte d’actionnaires
  • Comportement déloyal ou constitutif d’une faute grave envers la société
  • Situations objectives affectant la capacité de l’associé à contribuer au projet d’entreprise
  • Circonstances précises de nature à compromettre l’intuitu personae fondant la relation sociétaire

La deuxième adaptation majeure concerne l’instauration de garanties procédurales dans la mise en œuvre de la clause. Pour prévenir l’invalidation fondée sur le non-respect des droits de la défense, les rédacteurs intègrent désormais systématiquement des dispositions assurant le caractère contradictoire de la procédure d’exclusion. Ces garanties comprennent généralement la notification préalable des griefs, l’octroi d’un délai raisonnable pour présenter des observations, et parfois même la possibilité de régulariser la situation avant l’activation définitive de la clause.

L’enjeu de l’indemnisation équitable constitue le troisième axe d’adaptation des pratiques rédactionnelles. Les pactes d’actionnaires récents prévoient des mécanismes sophistiqués d’évaluation des titres, combinant souvent plusieurs méthodes complémentaires pour garantir une juste valorisation. Le recours systématique à un expert indépendant, conformément à l’article 1843-4 du Code civil, s’impose comme une pratique standard, complétée par des dispositions détaillées sur la mission de l’expert et les critères d’évaluation applicables.

Mécanismes alternatifs et solutions de substitution

Face aux incertitudes entourant la validité des clauses de cession forcée, les praticiens développent des mécanismes alternatifs visant à atteindre des objectifs similaires tout en limitant les risques d’invalidation judiciaire :

La promesse unilatérale de vente sous condition représente une première alternative intéressante. Ce dispositif contractuel, dans lequel l’actionnaire consent par avance à céder ses titres en cas de survenance d’événements déterminés, bénéficie d’un régime juridique plus favorable depuis la réforme du droit des contrats. L’article 1124 du Code civil renforce en effet l’efficacité de ce mécanisme en précisant que la rétractation du promettant pendant la période d’option n’empêche pas la formation du contrat promis.

Le recours aux clauses de sortie conjointe inversée (drag-along) constitue une deuxième stratégie d’adaptation. Ces stipulations, qui permettent à un actionnaire majoritaire d’obliger les minoritaires à céder leurs titres en cas d’offre d’acquisition portant sur l’intégralité du capital, sont généralement considérées comme valides par la jurisprudence lorsqu’elles garantissent une égalité de traitement entre actionnaires.

Une troisième approche consiste à renforcer les mécanismes statutaires d’exclusion. Bien que soumis à des conditions strictes, notamment dans les sociétés par actions, ces dispositifs bénéficient d’une présomption de validité plus forte que les clauses extrastatutaires. Leur efficacité reste toutefois limitée dans certaines formes sociales et nécessite des précautions rédactionnelles particulières.

L’utilisation de sanctions financières dissuasives, sous forme de clauses pénales ou d’indemnités contractuelles, représente une quatrième voie explorée par les praticiens. Sans contraindre directement l’associé à céder ses titres, ces mécanismes créent une forte incitation économique au respect des engagements pactés.

Ces stratégies d’adaptation témoignent de l’inventivité des juristes d’affaires face aux contraintes jurisprudentielles. Elles illustrent la capacité du droit des affaires à développer des solutions pratiques répondant aux besoins des acteurs économiques, tout en respectant les limites posées par l’ordre public sociétaire.

Perspectives d’évolution et recommandations pour une sécurisation juridique optimale

L’avenir des clauses de cession forcée dans les pactes d’actionnaires français s’inscrit dans un contexte d’incertitude juridique qui appelle une réflexion prospective sur les évolutions possibles de la jurisprudence et les stratégies de sécurisation à privilégier. Plusieurs facteurs permettent d’entrevoir des perspectives d’évolution de cette question juridique complexe.

Un premier élément d’analyse concerne l’influence du droit comparé sur l’évolution future de la jurisprudence française. Les systèmes juridiques anglo-saxons, particulièrement le droit anglais et le droit américain, reconnaissent traditionnellement une validité plus large aux clauses de cession forcée, dans une logique de prédominance de la liberté contractuelle. Cette approche libérale a inspiré certaines juridictions européennes, notamment en Allemagne et aux Pays-Bas, où la jurisprudence récente témoigne d’une plus grande tolérance envers ces mécanismes contractuels. L’harmonisation progressive du droit des affaires au niveau européen pourrait conduire les tribunaux français à assouplir leur position restrictive.

Un deuxième facteur d’évolution réside dans les réformes législatives récentes ou à venir. La loi PACTE du 22 mai 2019, en renforçant la contractualisation des relations d’affaires et en promouvant la liberté entrepreneuriale, pourrait favoriser une interprétation plus souple des clauses de cession forcée. De même, les travaux préparatoires à une éventuelle réforme du droit des sociétés laissent entrevoir une possible clarification législative du régime juridique applicable à ces stipulations contractuelles.

L’évolution de la doctrine juridique constitue un troisième élément d’analyse prospective. Un courant doctrinal influent, porté notamment par les Professeurs Dominique Schmidt et Hervé Le Nabasque, plaide pour une reconnaissance accrue de l’autonomie des pactes d’actionnaires par rapport au droit commun des sociétés. Cette position doctrinale, si elle venait à s’imposer, pourrait infléchir la jurisprudence vers une validation plus systématique des clauses de cession forcée.

Recommandations pratiques pour une sécurisation optimale

Face à ces perspectives incertaines, plusieurs recommandations peuvent être formulées pour maximiser la validité et l’efficacité des clauses de cession forcée :

  • Adopter une approche mixte combinant dispositions statutaires et extrastatutaires
  • Prévoir une gradation des sanctions avant l’activation de la clause d’exclusion
  • Renforcer le caractère objectif et vérifiable des motifs d’exclusion
  • Garantir une indemnisation équitable fondée sur des méthodes d’évaluation transparentes

La première recommandation consiste à articuler judicieusement les dispositions statutaires et extrastatutaires. Cette approche implique d’intégrer dans les statuts une clause-cadre prévoyant le principe de l’exclusion, tout en renvoyant au pacte d’actionnaires pour les modalités détaillées de mise en œuvre. Cette technique rédactionnelle permet de bénéficier de la force juridique supérieure des dispositions statutaires tout en préservant la confidentialité et la souplesse offertes par le pacte.

Une deuxième recommandation vise à instaurer une gradation des sanctions avant l’activation de la clause d’exclusion. Cette approche progressive prévoit des mesures intermédiaires (mise en demeure, suspension temporaire de certains droits, pénalités financières) avant le recours à la cession forcée, qui n’intervient qu’en dernier ressort. Cette gradation renforce la proportionnalité du dispositif et sa conformité aux exigences jurisprudentielles.

La troisième recommandation concerne le renforcement du caractère objectif et vérifiable des motifs d’exclusion. Les rédacteurs doivent privilégier des critères factuels aisément constatables (violation d’une obligation de non-concurrence, perte d’une qualification professionnelle, défaut de libération d’apports) plutôt que des notions subjectives comme la « déloyauté » ou l' »incompatibilité d’humeur », susceptibles d’interprétations divergentes.

Une quatrième recommandation porte sur les garanties procédurales entourant la mise en œuvre de la clause. L’instauration d’un processus décisionnel collégial, impliquant éventuellement des tiers indépendants, et le respect scrupuleux du contradictoire constituent des facteurs déterminants dans l’appréciation de la validité de la clause par les tribunaux.

Enfin, la dernière recommandation concerne la transparence et l’équité des mécanismes d’indemnisation. Les rédacteurs doivent prévoir des méthodes d’évaluation diversifiées et adaptées aux spécificités de l’entreprise, tout en garantissant l’intervention d’experts indépendants dans des conditions de neutralité et d’impartialité irréprochables.

Ces perspectives d’évolution et recommandations pratiques témoignent de la vitalité du débat juridique entourant les clauses de cession forcée. Elles illustrent la capacité d’adaptation des praticiens face aux contraintes jurisprudentielles et leur détermination à préserver l’utilité de ces mécanismes contractuels dans l’organisation des relations entre actionnaires.

Le futur des mécanismes de sortie forcée : vers un nouvel équilibre juridique

L’avenir des dispositifs de sortie forcée dans le paysage juridique français se dessine à travers une recherche permanente d’équilibre entre impératifs contradictoires. Cette quête d’un nouveau paradigme juridique s’articule autour de plusieurs axes de réflexion qui méritent une analyse approfondie pour comprendre les enjeux futurs de ces mécanismes contractuels.

La première tendance observable concerne l’émergence d’une approche plus pragmatique de la part des tribunaux. Si la jurisprudence récente a globalement restreint la validité des clauses de cession forcée, certaines décisions témoignent d’une volonté de prendre davantage en compte les réalités économiques et les besoins pratiques des acteurs du monde des affaires. Ainsi, l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 12 septembre 2019 a validé une clause de cession forcée en soulignant son caractère nécessaire au bon fonctionnement de la société et à la préservation de son intuitu personae. Cette décision pourrait préfigurer un infléchissement jurisprudentiel vers une appréciation plus contextualisée de ces mécanismes contractuels.

Le deuxième axe d’évolution concerne l’influence croissante des standards internationaux sur la pratique française. La mondialisation des échanges économiques et l’internationalisation des opérations de capital-investissement favorisent la diffusion de modèles contractuels standardisés, souvent inspirés des pratiques anglo-saxonnes. Ces modèles, qui accordent une place prépondérante aux clauses de sortie forcée, exercent une pression normative sur le droit français et pourraient contribuer à son évolution vers une plus grande acceptation de ces mécanismes.

La troisième dimension prospective concerne la spécialisation croissante des clauses de cession forcée selon les types de sociétés et les contextes économiques. Loin d’une approche uniforme, on observe une différenciation des pratiques contractuelles adaptées aux spécificités des start-ups, des entreprises familiales, des sociétés cotées ou des structures de capital-investissement. Cette spécialisation témoigne d’une maturité accrue de la pratique juridique et d’une recherche de solutions sur mesure plutôt que de formules génériques.

L’apport des technologies juridiques et de l’intelligence artificielle

Un phénomène émergent réside dans l’utilisation des technologies juridiques (legal tech) et de l’intelligence artificielle pour optimiser la rédaction et l’exécution des clauses de cession forcée. Ces outils permettent notamment :

  • L’analyse prédictive des risques d’invalidation basée sur la jurisprudence existante
  • L’automatisation des processus de notification et de mise en œuvre
  • L’utilisation d’algorithmes sophistiqués pour l’évaluation des titres
  • Le recours à la blockchain pour sécuriser l’exécution des transferts de titres

Ces innovations technologiques pourraient transformer profondément la pratique des clauses de cession forcée en renforçant leur sécurité juridique et leur efficacité opérationnelle. Elles illustrent la capacité d’adaptation du droit des affaires aux évolutions techniques et son ouverture aux solutions innovantes.

Le débat sur la réforme du droit européen des sociétés constitue un autre facteur d’évolution potentiel. Les travaux menés au niveau communautaire en vue d’harmoniser certains aspects du droit des sociétés pourraient aboutir à une clarification du régime juridique applicable aux clauses de cession forcée. Cette harmonisation, si elle venait à se concrétiser, favoriserait probablement une approche plus libérale inspirée des systèmes juridiques les plus favorables à la liberté contractuelle.

L’évolution des modèles de gouvernance d’entreprise exerce également une influence significative sur l’avenir des clauses de cession forcée. L’émergence de nouveaux paradigmes de gouvernance, intégrant des préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance (ESG), pourrait conduire à repenser les motifs légitimes d’exclusion d’un associé. Des clauses de cession forcée fondées sur le non-respect d’engagements ESG commencent ainsi à apparaître dans certains pactes d’actionnaires, témoignant d’une évolution des valeurs guidant les relations entre associés.

Enfin, la question de l’articulation entre droit des sociétés et droit des contrats demeure au cœur des réflexions sur l’avenir des clauses de cession forcée. La réforme du droit des contrats de 2016, en renforçant le principe de liberté contractuelle tout en maintenant des garde-fous contre les déséquilibres significatifs, offre un cadre propice à une évolution mesurée de la jurisprudence. Cette réforme pourrait faciliter l’émergence d’un nouvel équilibre juridique, reconnaissant la validité de principe des clauses de cession forcée tout en les soumettant à des exigences précises de proportionnalité et d’équité.

Cette analyse prospective révèle que l’avenir des mécanismes de sortie forcée se dessine à la croisée de multiples influences – jurisprudentielles, doctrinales, économiques, technologiques et internationales. Loin d’une disparition programmée, ces dispositifs contractuels connaissent une transformation profonde qui pourrait aboutir à un nouveau paradigme juridique, conciliant plus harmonieusement liberté contractuelle et protection des droits fondamentaux des associés.