Le droit de la consommation français connaît une transformation majeure depuis 2020. Face aux défis numériques, environnementaux et sanitaires, le législateur a multiplié les interventions normatives pour rééquilibrer les rapports entre professionnels et consommateurs. Cette évolution s’inscrit dans la lignée des directives européennes tout en développant des spécificités nationales. Les nouvelles règles touchent tant la vente en ligne que l’obsolescence programmée, renforçant l’arsenal juridique protecteur et imposant de nouvelles obligations d’information aux professionnels. Ce cadre juridique révèle une approche plus préventive et davantage orientée vers la durabilité.
La révision du cadre juridique des contrats de consommation à l’ère numérique
La directive omnibus (UE) 2019/2161, transposée en droit français par l’ordonnance du 24 septembre 2021, constitue l’une des réformes majeures de ces dernières années. Elle modernise substantiellement le Code de la consommation pour l’adapter aux réalités du commerce électronique. L’un des apports significatifs concerne les places de marché en ligne (marketplaces), désormais soumises à un régime spécifique d’obligations.
Ces plateformes doivent maintenant indiquer clairement si le vendeur est un professionnel ou un particulier, distinction fondamentale qui détermine l’application du droit de la consommation. L’article L.221-5-1 du Code de la consommation impose aux opérateurs de plateformes d’informer le consommateur sur les paramètres de classement des offres présentées et sur l’existence éventuelle d’un paiement pour un meilleur référencement.
Le législateur a instauré un régime de sanction dissuasif pour les infractions aux règles protectrices du consommateur. L’amende administrative peut désormais atteindre 4% du chiffre d’affaires annuel ou 2 millions d’euros pour les manquements les plus graves. Cette évolution marque un tournant dans l’approche répressive, passant d’amendes forfaitaires modestes à des sanctions proportionnelles à la taille des entreprises.
La réforme encadre strictement les avis en ligne, pratique devenue centrale dans le processus d’achat. Le professionnel publiant des avis doit préciser si tous les avis sont publiés et s’ils font l’objet d’une vérification. La publication d’avis factices ou la manipulation d’avis authentiques sont explicitement interdites et sévèrement sanctionnées, jusqu’à 1,5 million d’euros pour une personne morale.
Ces nouvelles règles ont transformé la façon dont les entreprises conçoivent leurs interfaces numériques. Les dark patterns, ces interfaces trompeuses conçues pour orienter subrepticement le choix du consommateur, se trouvent désormais dans le viseur des autorités. La DGCCRF a d’ailleurs intensifié ses contrôles en 2022, ciblant particulièrement les pratiques déloyales dans l’environnement numérique.
L’émergence du droit à la réparation et à la durabilité des produits
La loi Anti-gaspillage pour une économie circulaire (AGEC) du 10 février 2020 a marqué un tournant décisif dans la lutte contre l’obsolescence programmée. Cette législation pionnière introduit un indice de réparabilité obligatoire depuis janvier 2021 pour cinq catégories de produits électroniques: smartphones, ordinateurs portables, téléviseurs, lave-linge et tondeuses à gazon électriques.
Cet indice, noté sur 10, doit être affiché de manière visible lors de la vente et calculé selon une méthodologie précise intégrant plusieurs critères:
- La disponibilité de la documentation technique
- La facilité de démontage du produit
- La disponibilité et le prix des pièces détachées
- Le rapport entre le prix des pièces détachées et celui du produit neuf
À partir de 2024, cet indice évoluera vers un indice de durabilité plus complet, intégrant des paramètres supplémentaires comme la robustesse et la fiabilité des produits. Cette évolution traduit la volonté du législateur d’inscrire la consommation dans une perspective de long terme, dépassant la logique du tout-jetable.
Le droit à la réparation se concrétise par des mesures concrètes comme l’obligation pour les fabricants de garantir la disponibilité des pièces détachées pendant une durée minimale de cinq ans pour de nombreux produits électroménagers. Les réparateurs indépendants bénéficient désormais d’un accès garanti à ces pièces détachées, brisant le monopole des fabricants et favorisant l’émergence d’un marché concurrentiel de la réparation.
La loi AGEC a introduit des sanctions significatives en cas de non-respect de ces obligations, pouvant atteindre 300 000 euros d’amende et 2% du chiffre d’affaires moyen annuel. Les premiers contrôles menés par la DGCCRF en 2022 ont révélé un taux de non-conformité préoccupant de 63% concernant l’affichage de l’indice de réparabilité, démontrant les difficultés d’application de cette réglementation novatrice.
Ces dispositions s’inscrivent dans un mouvement plus large de responsabilisation des producteurs, illustré par l’extension du principe de responsabilité élargie du producteur (REP) à de nouvelles filières comme les jouets, articles de sport et de bricolage, ou encore les matériaux de construction.
La protection renforcée du consommateur vulnérable face au démarchage
Face à la recrudescence des pratiques commerciales agressives, le législateur a considérablement durci l’encadrement du démarchage téléphonique. La loi du 24 juillet 2020, complétée par le décret du 13 octobre 2022, a profondément remanié le dispositif Bloctel en imposant des restrictions horaires strictes: le démarchage est désormais interdit avant 10h, après 20h, les week-ends et jours fériés.
Cette réforme a introduit une présomption de sollicitation non consentie pour tout appel émis vers un consommateur inscrit sur Bloctel. La charge de la preuve est ainsi renversée, obligeant les professionnels à démontrer l’existence d’une relation contractuelle préalable justifiant leur démarche. Les amendes ont été substantiellement relevées, atteignant 75 000 euros pour une personne physique et 375 000 euros pour une personne morale.
Certains secteurs font l’objet d’un encadrement spécifique. Le démarchage téléphonique est totalement prohibé dans le domaine de la rénovation énergétique depuis la loi du 24 juillet 2020, en réaction aux nombreuses fraudes constatées dans ce secteur. Cette interdiction absolue témoigne d’une approche plus catégorique du législateur face à des pratiques particulièrement préjudiciables aux consommateurs vulnérables.
La protection des personnes âgées a fait l’objet d’une attention particulière avec l’introduction d’un délai de réflexion obligatoire de 14 jours pour toute vente résultant d’un démarchage à domicile lorsque le montant dépasse 100 euros. Durant cette période, aucun paiement ne peut être exigé, limitant ainsi les risques d’engagement précipité sous l’effet de techniques de vente pressantes.
Le démarchage numérique n’échappe pas à cette tendance restrictive. La CNIL et la DGCCRF ont publié en 2022 des lignes directrices communes sur le démarchage par SMS et courriel, clarifiant les conditions du consentement préalable et les exceptions au principe d’opt-in. Les sanctions prononcées pour démarchage illicite ont connu une hausse significative, avec plusieurs amendes dépassant le million d’euros en 2022.
Ces évolutions traduisent une prise de conscience des vulnérabilités spécifiques de certaines catégories de consommateurs face aux techniques de vente agressives. La jurisprudence récente de la Cour de cassation tend d’ailleurs à caractériser plus facilement l’abus de faiblesse, notamment lorsque le professionnel exploite l’isolement ou les difficultés de compréhension de personnes âgées (Crim. 8 mars 2022, n°21-83.511).
L’adaptation du droit alimentaire aux exigences de transparence
La transparence nutritionnelle s’est considérablement renforcée avec la généralisation progressive du Nutri-Score. Bien que demeurant volontaire en droit français, ce système d’étiquetage nutritionnel simplifié est fortement encouragé par les pouvoirs publics. Son algorithme a été révisé en 2023 pour mieux refléter les recommandations nutritionnelles actuelles, notamment concernant les produits ultra-transformés.
Le règlement européen INCO (Information des Consommateurs) a été complété par le règlement d’exécution 2018/775 relatif à l’indication de l’origine des ingrédients primaires, pleinement applicable depuis avril 2020. Cette réglementation impose d’indiquer l’origine géographique de l’ingrédient principal lorsqu’elle diffère de celle mise en avant pour le produit fini, limitant ainsi les risques de confusion pour le consommateur.
La loi EGalim du 30 octobre 2018 a introduit plusieurs dispositions visant à améliorer la qualité nutritionnelle des produits transformés. L’article L. 1 du Code rural fixe désormais comme objectif une réduction du sel, des sucres, des acides gras saturés et des additifs dans les produits transformés. Les premières conventions d’engagements volontaires ont été signées en 2022, fixant des objectifs chiffrés de reformulation pour plusieurs catégories d’aliments.
Les allégations environnementales font l’objet d’un encadrement renforcé depuis la loi Climat et Résilience du 22 août 2021. L’utilisation des termes « neutre en carbone » ou « zéro carbone » est strictement réglementée et conditionnée à la publication d’un bilan d’émissions de gaz à effet de serre. Cette exigence vise à lutter contre le « greenwashing » et les allégations environnementales trompeuses.
La jurisprudence a précisé les contours de l’obligation d’information sur les risques alimentaires. Dans un arrêt remarqué du 20 octobre 2021 (n°19-23.714), la Cour de cassation a jugé que le professionnel devait informer le consommateur des risques connus liés à la consommation excessive de certains produits, même en l’absence d’obligation réglementaire spécifique. Cette décision étend considérablement la portée du devoir d’information des professionnels.
Ces évolutions réglementaires s’accompagnent d’un renforcement des contrôles. En 2022, la DGCCRF a mené plus de 10 000 contrôles ciblés sur l’information du consommateur dans le secteur alimentaire, avec un taux d’anomalies de 27%, principalement liées à des allégations trompeuses sur l’origine ou la composition des produits.
Les nouveaux droits numériques du consommateur: au-delà de la protection classique
L’ordonnance du 29 septembre 2021 a transposé en droit français la directive européenne 2019/770 relative aux contrats de fourniture de contenus numériques. Cette réforme majeure étend le champ d’application du droit de la consommation aux services numériques fournis gratuitement en échange de données personnelles. Le consentement à la collecte des données est désormais assimilé à une contrepartie, créant un véritable contrat soumis aux garanties consuméristes.
Cette évolution conceptuelle s’accompagne de l’extension des garanties légales aux biens comportant des éléments numériques. Le professionnel est tenu de fournir les mises à jour nécessaires au maintien de la conformité du bien pendant une période raisonnable, qui ne peut être inférieure à deux ans. Cette obligation répond aux spécificités des produits connectés dont la fonctionnalité dépend de mises à jour régulières.
La protection des données personnelles s’intègre progressivement au droit de la consommation. La CNIL et la DGCCRF ont renforcé leur collaboration, comme l’illustre leur action coordonnée contre les pratiques de ciblage publicitaire des mineurs. Cette convergence témoigne d’une approche plus intégrée des droits numériques du consommateur, dépassant les cloisonnements traditionnels entre protection des données et droit de la consommation.
Le règlement européen Digital Services Act (DSA), applicable depuis février 2023, impose de nouvelles obligations aux plateformes en ligne. Les très grandes plateformes doivent désormais évaluer les risques systémiques liés à leur fonctionnement et prendre des mesures d’atténuation appropriées. Le DSA renforce considérablement les droits des utilisateurs face aux décisions de modération de contenu, en imposant des procédures de recours efficaces.
Le droit à la portabilité des données s’affirme comme un nouveau droit consumériste essentiel. Le règlement européen Digital Markets Act (DMA) l’étend au-delà du RGPD en imposant aux contrôleurs d’accès (gatekeepers) des obligations spécifiques de portabilité en temps réel des données générées par l’utilisation de leurs services. Cette avancée vise à réduire les effets de verrouillage et à stimuler la concurrence sur les marchés numériques.
Ces évolutions dessinent les contours d’un statut juridique du consommateur numérique distinct du consommateur traditionnel. La jurisprudence commence à préciser ce statut, comme l’illustre l’arrêt de la CJUE du 9 novembre 2021 (C-33/20) qui qualifie de pratique commerciale déloyale le défaut d’information sur l’utilisation d’algorithmes de personnalisation des prix.
- Renforcement des droits d’information sur les algorithmes
- Extension des garanties légales aux produits numériques
- Protection contre les techniques de manipulation comportementale
L’avènement d’un droit consumériste socialement responsable
Le concept de consommation responsable s’est progressivement introduit dans notre arsenal juridique, transformant la finalité même du droit de la consommation. L’article préliminaire du Code de la consommation, modifié par la loi Climat et Résilience, affirme désormais que ce code a pour objectif de promouvoir la consommation durable, marquant une rupture avec la vision traditionnellement individualiste de la protection du consommateur.
Cette dimension collective se manifeste dans le renforcement des actions de groupe. La loi du 21 février 2023 a étendu le champ d’application de l’action de groupe en matière environnementale, permettant d’obtenir réparation des préjudices écologiques résultant de manquements d’un professionnel à ses obligations légales. Cette évolution témoigne d’une approche plus systémique des litiges de consommation, dépassant la seule réparation des préjudices individuels.
Le droit à l’information environnementale s’est considérablement enrichi. La loi AGEC impose depuis janvier 2022 l’affichage d’informations relatives à la présence de perturbateurs endocriniens dans les produits. L’expérimentation de l’affichage environnemental, prévue pour une durée de cinq ans, vise à informer le consommateur sur l’impact environnemental global des produits, au-delà des seules émissions de gaz à effet de serre.
La notion d’écoconception fait son entrée dans le droit positif. L’article L. 541-9-1 du Code de l’environnement définit désormais l’écoconception comme une démarche qui prend en compte systématiquement les impacts environnementaux dans la conception et le développement de produits. Cette reconnaissance juridique s’accompagne d’incitations fiscales et réglementaires pour les produits répondant à des critères d’écoconception.
Cette évolution vers un droit de la consommation plus responsable n’est pas sans susciter des tensions avec le droit de la concurrence. La question des ententes entre professionnels visant à améliorer la qualité environnementale des produits a conduit l’Autorité de la concurrence à publier en 2022 un document-cadre sur les accords de durabilité, précisant les conditions dans lesquelles de tels accords peuvent bénéficier d’exemptions au droit des ententes.
Les tribunaux commencent à intégrer cette dimension sociale et environnementale dans leur jurisprudence. Dans un jugement du 2 février 2021, le Tribunal de commerce de Paris a condamné une enseigne de la grande distribution pour non-respect de ses engagements volontaires en matière d’approvisionnement éthique, consacrant ainsi la valeur juridique contraignante de tels engagements RSE lorsqu’ils sont utilisés comme arguments commerciaux auprès des consommateurs.
